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fiole de parfum

Suite de la nouvelle Une simple Mission, pour la partie 1 c’est ici !

Nous étions des chasseurs d’énergie, notre famille était unique sur le marché. Seuls les Calabrian étaient capables de ça. Les autres n’étaient que des imposteurs. J’ai longtemps cru échapper à l’héritage familial, mais mes premières règles m’ont enlevées mes dernières illusions. De plus, je n’étais pas une simple chasseuse récoltant l’énergie émise par les gens, je savais distinguer chaque émotion, je pouvais prendre ce que je voulais à qui je voulais, humain ou non.

Notre famille commerçait principalement avec les démons, sorcières et magiciens. Les anges aimaient aussi traiter avec nous, mais pour eux, notre élixir s’apparentait à une drogue, ceux qui venaient se fournir chez nous étaient souvent des dealeurs se faisant du bénéfice sur le dos de leurs congénères. Ceux-là sont à peu près clean et se tenaient en notre présence, mais les autres sont des êtres de cauchemar. Comme un humain en manque de cocaïne.

 Nous étions montés à bord de ce train mythique pour profiter de la concentration de personne et de la promiscuité. Ponctionner l’énergie épuisait le sujet, et comme l’occupation principale des voyageurs était de dormir, c’était parfait pour nous. Pour cette mission, nous ne cherchions que du standard, des émotions de base, de la vie de tous les jours : bonheur simple, satisfaction, frustration, fatigue, colère, doute. Père souhaitait que nous reconstituions notre fonds de roulement, pour les sentiments rares comme la peur, le chagrin et le plaisir pur, nous sillonnions les lieux à forte densité à la recherche de notre gagne-pain. Bien sûr, c’était elles qui se vendaient le plus cher et qui étaient les plus difficiles, voir dangereuses, à récolter.

Une fois notre thé avalé, avec un paquet de gâteau pioché dans mon sac, nous nous sommes rafraîchis et avons commencé à arpenter le train. tre accompagnée était un avantage, je pouvais accumuler un maximum d’énergie sans me préoccuper des conséquences quand j’en absorbais trop. Je savais qu’Ethan me reconduirait à ma couchette pour que je puisse synthétiser la précieuse substance. Pour la récolte, je passais simplement, mes sens aux aguets, les doigts écartés, je drainais l’émotion ambiante. Je m’en gavais jusqu’à saturation, parfois à tel point que je ressemblais à une alcoolique, titubant et ayant du mal à m’exprimer. Quand j’étais seule, je faisais attention à ne pas trop abuser, ou à évacuer régulièrement ce que j’ingérais. Au début de ma carrière, je m’étais mise dans des situations délicates où seule la chance m’avait permis de m’en sortir sans dommage.

Nous en étions au troisième wagon, lorsque le train s’arrêta. Je me stoppais et me retourner d’un bloc pour vérifier la présence de mon frère, lorsque je percutais un torse anguleux et recouvert par une de ces vestes bleues hideuses que portait les Provodnista, à la fois contrôleuses et hôtesses des wagons, ces femmes pouvaient se révéler être aussi bien des anges que des démons. Au sens figuré bien sûr, jusqu’à présent les employées du Transsibérien étaient toutes humaines. Je levais les yeux et rencontrais ceux rieurs de l’homme que je venais de bousculer.  Brun, la trentaine, grand et fin, il me contemplait attendant que je fasse quelque chose. Je le connaissais, c’était Dimitri, le responsable des Provodnista.

—  Pardonnez-moi, marmottais-je en anglais.

Mon accent n’était pas parfait, mais je savais qu’il me comprendrait, il n’était facile pour une Franco-Italienne comme moi de m’exprimer dans cette langue, mais je m’appliquais à le faire dès que je le pouvais.

— Ce n’est rien, retourner dans votre wagon. Nous arrivons à Chilka, me répondit-il sans se départir de son sourire.

Son accent n’était pas mieux que le mien. Il me contourna et reprit sa route en sifflotant un air inconnu à mes oreilles. Mon regard tomba alors sur mon frère hilare qui secouait la tête d’un air désespéré. Je reprenais mon chemin vers notre compartiment quand je sentis cette odeur sur mes mains, la même que ce matin, la fragrance inimitable de la bergamote. Était-ce Dimitri qui portait ce parfum ? M’ébrouant mentalement, je me forçais à avancer. L’arrêt s’avéra être un contrôle inopiné des forces de l’ordre locales. Les toilettes furent fermées à clé et on nous fit descendre avec nos papiers. Un bataillon impressionnant de policiers sillonnait le quai, récupérant nos passeports, je me tenais le plus près possible d’Ethan, essayant de ne pas grelotter plus que nécessaire avec ma doudoune chaude et confortable. J’avais laissé mes gants dans mon sac et l’air frais de cette fin septembre me le faisait amèrement regretter. Je savais qu’il ne servait à rien de râler, dans ces circonstances, cela m’apporterait probablement trop d’ennui. Prenant mon mal en patience, comme le reste des passagers, j’observais les alentours. La gare était petite et bizarrement aucuns locaux n’étaient là pour nous vendre la nourriture comme c’était le cas habituellement lors de nos arrêts précédents. J’espérais recroiser les yeux noirs de l’inconnu aux dreadlocks de ce matin. Une heure passa avant qu’on nous rende nos papiers d’identité, l’homme prit soin de vérifier que nous ressemblions à nos photos. C’est là que je compris qu’ils cherchaient une chose ou une personne. Les policiers firent remonter tous les voyageurs sauf ceux de notre wagon. Ils nous prirent un par un pour aller contrôler le contenu de nos sacs. Je passais juste avant Ethan, et quand il revint à quai le teint livide, une onde de fureur débordant de sa grande silhouette, encadré par trois militaires, je sus que notre voyage sans histoire était terminé.

 

Suite et fin dans la prochaine publication !