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transsibérien

Cette nouvelle a été rédigée, il y a environ 3 ans pour un appel à texte. Leur ligne ne comprenait pas de fantastique aussi j’ai été recalée et c’est probablement le plus beau mail de refus que je n’ai jamais eu.

Le texte devait parler du Transsibérien, train mythique.

— Joyeux anniversaire sœurette, susurra Ethan.

Je levais les yeux au ciel, incapable de continuer à bouder, mes lèvres esquissèrent un sourire tendre. Bon, et pour le ciel, je repasserais, ma couchette se situait sous le toit de la cabine, je ne pouvais même pas m’assoir. Nous étions dans le Transsibérien reliant Moscou à Vladivostok depuis trois jours. Il en restait encore trois de voyage et l’enfermement me rendait plus que grognon…

Mon grand frère Ethan m’accompagnait dans cette mission, même s’il y avait peu de risque, notre père pensait que traverser la Russie en train n’était pas l’endroit le plus sûr pour sa fille. Je savais me défendre, je prenais de cours de Krav Maga sur mes rares moments de temps libre, mon niveau s’améliorait régulièrement. J’avais râlé au début, prétendant ne pas vouloir de sa présence, j’étais heureuse que personne ne m’ait écoutée. 

samovar et 3 ème classe

Abandonnant ma mauvaise humeur, je me tournais sur le côté, seul mouvement possible sans me prendre le plafond dans la tête, et m’appuyais sur mon coude. Contrairement à moi, Ethan était châtain clair, grand avec son mètre quatre-vingt-quinze, il n’aurait pu rentrer dans cette couchette-là, c’est pour cela que je lui avais laissé celle du bas sans discuter. Nous avions les mêmes yeux, verts, profonds et lumineux comme la végétation dense d’une forêt. Son teint était aussi hâlé que le mien était pâle. À part, notre regard, nous n’avions rien en commun, dotée d’une épaisse chevelure rousse, j’étais l’OVNI de la famille. Il me gratifia d’un sourire rayonnant, ceux qu’il ne réservait qu’à moi sa seule et unique sœur. Nous avions deux autres frères, je les aimais de tout mon cœur, mais avec Ethan c’était différent, depuis que je marchais je le suivais partout, son aura solaire me poussait toujours à être à ses côtés. Nous n’avions que deux ans d’écart, il était en plus de tout le reste mon meilleur ami, il connaissait chaque recoin de mon âme et moi de la sienne.

— Un thé pour fêter ça ?

Notre boisson favorite à bord.

Je me laissais glisser de mon lit avec toute la grâce que me conféraient mes membres engourdis par mon manque d’activité. Je m’étais couchée tout habillée, l’intimité est un luxe que nous n’avions pas en voyageant en platskart, la troisième classe. Un legging, de grosses chaussettes montantes et un pull large me servaient de pyjama. En même temps, je dormais nue la plupart du temps, et dans notre wagon, il y avait environ cinquante couchettes, je ne pouvais donc pas me permettre de me laisser gagner par cette vilaine habitude…

Je suivais mon frère qui était déjà muni de nos tasses, Tigrou pour moi et Bourriquet pour lui. Il traversait le compartiment comme si c’était normal de partager ce moment de vie avec autant de personnes. Contrairement à moi il n’était pas gêné par cette façon de voyager, il saluait ceux qui étaient levés, Ethan se liait facilement. Je me contentais de mouvements de tête raide, manquant de m’entraver dans ses grandes jambes, entre le peu de place et le roulis du train, les conditions n’étaient pas réunies pour que mon équilibre, déjà précaire sur la terre ferme, fonctionne pleinement. Je me redressais au dernier moment en m’accrochant à son teeshirt dans son dos. Je l’entendis pouffer discrètement et me retint de le chatouiller. Nos tasses étaient trop précieuses pour un geste aussi risqué.

Arrivés au samovar, je laissais Ethan pour aller me soulager dans les toilettes communes. L’hygiène y était plus qu’approximative, il n’y avait pas de douche et je serais obligée d’y revenir plus tard munie de lingettes pour me rafraîchir. Pour mes cheveux, j’avais investi dans du shampoing sec, mais pour le reste, je ne me sentais pas très propre. Plus que trois jours et nous serons à Vladivostok. J’avais presque rempli ma réserve d’émotions de base et mon père serait heureux de la qualité de la récolte. Il nous obligerait probablement à recommencer dans quelques mois. Quand je ressortis, Ethan me tendit ma tasse fumante. L’odeur de Bergamote douce acidulée m’emplit les narines, un Earl Grey, mon préféré.

— Merci, murmurais-je, touchée par les discrètes attentions de mon frère.

Il me fit clin d’œil et souffla sur son thé. C’est à cet instant que je l’aperçus, dans le couloir menant aux secondes classes, appuyé, les bras croisés, contre une fenêtre, il nous observait en silence. Presque aussi grand qu’Ethan, les épaules larges, blond, des dreadlocks, le tout attaché en chignon haut, un regard noir impénétrable. Vêtu de noir, blouson en cuir, jean, teeshirt Nirvana, il était complètement déplacé dans ce décor. Les yeux perdus dans les siens, je fus ramenée dans le présent par la voix douce de mon frère :

—Tu m’entends Léane ?

Je sursautais et me concentrais. Ethan fronça les sourcils et se tourna pour voir ce qui avait retenu mon attention. Je suivis son regard, mais ne rencontrais que le vide. L’homme était parti. Mon frère me contempla avec un air interrogateur.

— Un homme à l’allure étrange, fis-je avant de repartir vers nos affaires. On a du boulot, ajoutais-je.

Essayant de ne pas me brûler avec le liquide chaud, je tentais d’oublier les frissons qui avaient parcouru mon corps en voyant l’inconnu.